Apprendre à devenir citoyen, plutôt qu’apprendre le « métier d’élève »

Nous reproduisons ici un article de Paul Bron
Paru sur le site du « café pédagogique » du 12 Février 2015.
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/02/12022015Article635593213818254037.aspx

Apprendre à devenir citoyen, plutôt qu’apprendre le « métier d’élève »

Il est devenu courant depuis quelques années d’entendre, chez les pédagogues reconnus, l’objectif d’aider l’enfant à devenir élève. Certains parlent même du « métier d’élève ». Ainsi l’enfant devrait aller à l’école primaire pour y apprendre un métier. Cette expression est navrante parce qu’elle nie le sens premier de l’apprentissage, celui d’aider à grandir. Mais à quoi sert donc l’école? A emmagasiner des connaissances, à devenir adulte, à transmettre des valeurs… Et si nous changions de paradigme pour dire ensemble que l’objectif prioritaire de l’école consiste tout d’abord à former des citoyens.

Les événements « Charlie » nous ont bousculés. Ils ont requestionné nos valeurs et en premier lieu celle de laïcité qui nous paraissait confortablement intégrée. Face à ce grand désarroi, l’école est pointée du doigt. Et si nous ajoutons les résultats PISA qui la place en queue de peloton des pays européens, le tableau scolaire est prêt à sombrer.

Nos politiques ont décidé, à juste titre, de placer l’éducation comme une priorité et les évolutions sont significatives : refondation de l’école, réforme des rythmes, adaptation des programmes, développement du numérique, redéfinition du socle commun, remise en cause de la notation, réorganisation de la formation des enseignants, plan d’action pour la formation du citoyen, projet éducatif de territoire… Nous pouvons saluer le travail des différents ministres de l’éducation qui, de Vincent Peillon à Nadjat Vallaud Belkacem, ont pris sérieusement en main cette question, ainsi que tous les acteurs enseignants, parents, associations, villes éducatrices..
Mais peut-on vraiment changer l’école sans changer le but à atteindre ? L’objectif n’est-il pas encore actuellement, de former des enfants aptes à devenir des élèves, formatés pour emmagasiner des apprentissages scolaires, avec comme finalité l’excellence des grandes écoles, que seuls quelques uns atteindront avec douleur. L’école primaire doit elle apprendre le « métier d’élève » comme si l’objectif de l’enfance se réduisait à un apprentissage professionnel ? La réflexion sur les programmes n’est-elle pas avant tout disciplinaire ?

La conception traditionnelle française des programmes est à revoir, non seulement elle reste ancrée sur les disciplines mais elle laisse peu d’initiatives aux enseignants. D’après le Conseil Supérieur des Programmes, le nouveau socle fait le pari de « refonder l’école par les contenus ». Les futurs programmes ne devraient plus « définir les activités des enseignants mais les attendus de connaissance, de compétence et de culture des élèves ». En cela ils seront très différents des programmes anciens, c’est un progrès.
Mais le savoir n’est pas forcément émancipateur. Même s’il permet de comprendre une situation, de décoder son fonctionnement et d’élaborer des stratégies de changement, il ne suppose pas, par définition, l’accroissement de l’autonomie de pensée et d’action collective d’une personne. Bien sur, ce débat est récurrent et je force volontairement le trait. Beaucoup d’éducateurs s’engagent autour de valeurs plus humanistes. Mais le système scolaire est-il vraiment en train de changer, malgré les coups de butoir de l’actualité récente ? Qu’en est-il de ces enfants de l’école républicaine dans un pays en panne de transmission ?

Et si l’on fixait, de façon déterminée, l’objectif prioritaire de placer l’éducation à la citoyenneté au cœur de l’école, d’apprendre à l’enfant à devenir un être sociable et un citoyen éclairé. Pas seulement d’introduire dans l’école un peu plus d’éducation civique et de formation citoyenne, comme cela se joue actuellement. Option qui reste malgré tout, très marginale par rapport aux apprentissages disciplinaires.

Imaginons que le Conseil Supérieur des Programmes ait à plancher sur les acquisitions telles que : développer son autonomie par la pédagogie du choix, construire du collectif en « faisant ensemble », passer de la pulsion à la réflexion, respecter la nature et la vie qui sont nos biens les plus précieux et les plus fragiles, s’ouvrir au monde, développer des compétences de solidarité et d’entre-aide, et pourquoi pas introduire la contemplation, la méditation à l’école…

Imaginons que les disciplines telles que le français, l’histoire, la géographie ou les maths soient enseignés en priorité à partir de ces objectifs, sans négliger les apports didactiques tels que lire, écrire, compter, s’exprimer à l’oral comme à l’écrit sous forme de remédiation quotidienne. Développer les parcours d’éducations artistique, culturelle, sportive et écologique.

Imaginons que les programmes soient élagués pour n’en garder que l’essentiel, laisser place à des enseignements utiles à l’intégration sociale et plus enrichissants pour la vie personnelle. Une réorganisation, une refonte des programmes du CP à la 3eme qui assurerait une véritable continuité éducative et une coopération étroite entre les enseignants des différents degrés. Une pédagogie en rupture avec la compétition, l’individualisme et qui repose sur la coopération.

Imaginons que les enfants aient à s’impliquer à l’échelle du groupe, de la classe, de l’établissement scolaire, voir même de certaines structures du quartier, à travers des instances participatives et la pratique du débat démocratique. Connaître les droits et les responsabilités des acteurs et les mettre en œuvre.

Imaginons enfin, que l’établissement scolaire devienne une « maison de l’éducation » dédiée à l’enfance, où la journée de l’enfant soit rythmée et organisée de façon autonome par une collaboration entre les enseignants et les autres acteurs éducatifs : les Atsem, les animateurs du périscolaire, les associations et les parents et plus globalement les personnes intervenants dans l’école.

Une école qui structure l’identité personnelle, qui favorise la solidarité, qui encourage la curiosité, l’envie de comprendre, de connaître et d’apprendre. Une école qui permette d’imaginer le nouveau profil des « enfants de la République »

Nous sommes bien loin du métier d’élève… Un rêve sans doute.

Paul Bron
Élu municipal.  Ex adjoint à l’Éducation de la ville de Grenoble

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