En route pour les conseils citoyens indépendants

Intervention de Paul Bron lors du Conseil Municipal du 23 Mars 2015

Je souhaite tout d’abord saluer le travail remarquable qu’ont fait les Conseils Consultatif de secteurs depuis 13 ans. Ils sont supprimés ici, d’un trait de plume, sans aucune reconnaissance, dans cette délibération. Pourtant créés par la Ville de Grenoble en 2002 par une majorité d’union de la gauche PS, PC, Verts, Ades, GO, les CCS ont permis à de nombreux grenoblois de participer aux principales décisions concernant le développement de la Ville. Ils ont transmis au Maire des avis argumentés, des habitants sont venus parfois les présenter en Conseil Municipal. Je me souviens particulièrement de l’avis du CCS1 sur l’Esplanade qui était exemplaire. Nous leur devons cette reconnaissance.

La participation citoyenne reposait de même les années précédentes sur d’autres piliers : la charte de la démocratie locale, les budgets participatifs comme celui expérimenté sur le secteur 1, les jardins partagés, la dynamique de mutualisation autour des Maisons de Quartiers… Même le tirage au sort a été expérimenté déjà en 2006. On ne part donc pas de rien, la copie n’était pas blanche. L’expérience de la participation est une constante à Grenoble depuis plus de 30 ans. Grenoble a même été l’une des premières villes à créer des unions de quartiers en 1930. Il est bon de resituer la création des CCI dans ce contexte et dans une continuité.

Nous voilà maintenant avec la délibération sur les CCI. J’ai participé à la commission extra municipale qui a planché sur les CCI, au titre de représentant du groupe de l’opposition de gauche et je peux confirmer, que les décisions prises l’ont été à la majorité des présents. Malgré quelques accrochages en fin de parcours, je reconnais que cette commission a travaillé dans la confiance, et que l’animation a été respectueuse de la parole de chacun.
Dont acte et je souhaite bonne chance aux futurs CCI et notre groupe votera donc cette délibération.

Cela dit, je vous livrerai quelques réflexions et points de vigilance quant aux objectifs assignés aux CCI et à son fonctionnement.

1. Depuis plusieurs années, on ne peut pas dire que la participation des habitants dans les villes françaises soit une réussite. On dit que les habitants se désintéresseraient de la politique et seraient essentiellement préoccupés de leur intérêt individuel. Et si l’on faisait fausse route, et si le problème ne venait pas des habitants, mais de l’offre qui leur était faite. Et si les habitants avaient d’excellentes raisons pour ne pas participer ?
Des raisons liées au fait qu’en réalité, ils n’ont en général, aucun pouvoir sur les décisions prises. Ils n’ont ni le choix des questions, ni celles des réponses. On se prive du principal ressort de l’engagement et de la mise en mouvement : l’intérêt pour le projet et la possibilité de pouvoir changer les choses.
Il est essentiel alors, que les conseils citoyens, à Grenoble et ailleurs, donnent réellement du pouvoir d’agir aux habitants. Et ne croyez pas que cela se fera toujours dans le consensus et la co construction. C’est normal, la vie démocratique est faite d’opinions contradictoires qui peuvent parfois faire consensus, ou non. Le consensus d’ailleurs, n’est pas forcément le gage d’une position politique courageuse. C’est pourquoi les modalités et la légitimité de la décision finale du conseil citoyen doit être bien claire pour tous et toutes.

C’est à mon avis, l’écueil principal de ce type de participation citoyenne. Jusqu’à quels points, les élus politiques, légitimés par le suffrage universel, sont-ils prêts à modifier leur façon de faire, d’agir, de décider et d’exercer leur pouvoir ?

Et sur ce sujet, je crois que la délibération proposée ne va pas assez loin.
Pour que les CCI ne fournissent pas seulement un avis, sinon pas besoin de changer les conseils consultatifs de secteurs précédents, mais pour qu’ils pèsent vraiment sur les décisions de la ville, il faut leur donner un réel pouvoir de décision. Pour que les citoyens qui vont s’engager et encore plus s’ils sont tirés au sort, soient pris au sérieux, ils doivent être en capacité de faire aboutir leurs revendications. Les règles du jeu doivent être claires entre le processus de concertation, et le processus de prise de décision.

Nous avons du remettre ce sujet sur le tapis, à chaque réunion de la commission extra municipale. Vous proposez in fine dans la Charte, la possibilité d’une question orale en début de Conseil Municipal et en cas d’accord avec la majorité, l’introduction d’une délibération. Et ma question reste entière : que se passera-t-il si la proposition d’un CCI ou de plusieurs CCI n’est pas conforme au projet de votre majorité ?

Dans quel espace démocratique se situera la confrontation ?

2. Mon 2eme point de vigilance porte sur la place des associations d’habitants. D’une certaine façon, le postulat de départ des CCI choisi de faire confiance aux habitants pris individuellement, qui sont appelés d’ailleurs à cette occasion des « citoyens » comme si nous n’étions pas tous des citoyens ( on retrouve d’ailleurs le même quiproquo dans certaines listes aux élections départementales) ? et cela aux dépends de ceux qui s’engagent, qui militent dans des actions collectives. C’est à mon avis une erreur.

Les habitants engagés dans des associations, des associations d’habitants, de quartier, dans les 22 UQ de Grenoble, sont aussi des citoyens, mais des citoyens engagés et ils ne sont pas suffisamment pris en considération. Ils n’ont pas leur place dans les CCI. Sauf à se déclarer individuellement des volontaires. Pourtant ils constituent les forces vives de la démocratie. Il est regrettable que vous n’ayez pas voulu leur trouver leur place. Le CLUQ, Comité de Liaison des Unions de Quartiers, d’ailleurs, dans un courrier qu’il vous a adressé la semaine dernière, Mr le Maire, signale même que leur non prise en compte s’avère, je les cite, « déstabilisatrice et démobilisatrice pour le milieu associatif grenoblois » et il ajoute que « des décisions déjà prises auraient mérité concertation, surtout lorsqu’elles mettaient en cause des décisions précédemment concertées ». Alors bien sur, vous proposez maintenant un « pacte pour les UQ », mais c’est bien maigre et cela ne touchera que les UQ . Qu’en sera-t-il des autres représentants associatifs et de leur place, dans cette tentative de « démocratie participative » ?

3. Je voudrais aussi vous alerter sur la question des modalités de prise de décision d’un CCI :
Le conseil est composé de 40 personnes qui sont déclarées être des « artisans de la démocratie ». A ce titre, elles animent la participation à l’échelle de leur territoire et organise des assembles de citoyens. Après débat en assemblée générale, est-ce ce groupe des 40 qui, arbitrera et prendra la décision ou devra-t-elle relever d’une décision prise en AG. Sur ce sujet, la charte n’est pas claire.
Je crains qu’une décision prise en AG, donc à la majorité des présents, ce jour là, soit propice à toutes les manipulations et que les citoyens tirés au sort, acceptent mal d’être, comme ils le disent eux meme « des gentils organisateurs sans aucun pouvoir de décision ».
4. Enfin pour terminer il faudra être attentif à plusieurs points :

Le périmètre des CCI : 7 territoires sont proposés. Ils ne correspondent ni aux 6 secteurs habituels de la ville, ni aux 10 périmètres des collèges, ni même aux quartiers de Grenoble, mais ils sont basés sur les bassins de vie. Pourquoi pas ! Il reste par contre un litige sur lequel il faut être vigilant. Il concerne la distinction ou non au Sud de la ville entre un large territoire regroupant Beauvert, VO et VN. Les habitants avaient choisi une séparation des 2 secteurs, ils n’ont pas été suivis. La commission a voté, à une voix prés, pour un seul secteur. Je pense que cette dimension doit être à revoir après une année de fonctionnement.

La question de l’association de gestion : attention à ce qu’elle ne prenne pas un pouvoir exorbitant. En effet dans la mesure où c’est cette association qui va recevoir la globalité des subventions affectées aux CCI, il va falloir veiller à ce qu’elle ne devienne pas, petit à petit, un lieu de décision et de pouvoir.

Le coût de ce projet. La question du coût des CCI a été adroitement effleurée lors des commissions. Les conseils consultatifs de secteur étaient dotés d’un budget d’un peu moins de 100 000€ avec le soutien des services de la ville. Les CCI pour être indépendants et autonomes, doivent disposer de locaux, de personnel dédié, de moyens de communication et d’animation, de formations, d’aides de gardes. J’ai évalué le coût de ce projet entre 300 et 400 000€/an. La majorité est-elle prête à s’engager sur une telle somme dans la situation financière actuelle ?

Enfin que va devenir le Creg ?.
Le Conseil consultatif des résidents étrangers est une instance participative rattachée à la municipalité ? La question de son indépendance se pose ainsi que celle de sa dimension métropolitaine. Il semble logique que les citoyens de nationalité étrangère rejoignent les CCI où ils devraient avoir toute leur place. Mais alors, que deviendra le CREG conçu à l’origine pour défendre et promouvoir le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales. Cette mobilisation est toujours d’actualité, il faut la redynamiser. Vont-ils être réduits au statut de commission thématique ? Les associations de soutien aux étrangers souhaitent une commission « immigration » pour traiter plus particulièrement des problèmes des migrants dans la ville. Cette commission devrait être, à mon avis, détachée des CCI, relever de la ville, elle pourrait prendre en compte aussi, la question du droit de vote.

Quant aux « tables de quartiers » le nouveau nom des CC politique de la ville, le nom vient d’une expérience québécoise et qui à été repris dans le rapport « Mechmache-Bacqué » en 2013, et par le collectif « Pas sans nous ». , nom qu’il faudra d’ailleurs ajuster avec celui des autres conseils de la Métropole… Nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, nous regrettons que leur organisation n’ait pas fait l’objet d’un examen plus sérieux par votre majorité et que leur constitution ait été renvoyée à la responsabilité de la Métro. Ils arrivent la en fin de course, sans vraiment avoir été réfléchis. Dommage, car ce sont ces conseils qui constituent le véritable enjeu de la participation ou non, des classes sociales populaires qui habitent les quartiers en politique de la ville ?

Je considère même que le principal enjeu de la participation se situe en priorité, dans la réussite ou non de ces « tables de quartier ».

Pour conclure, excusez moi de citer un § de la contribution que la co présidente de GO Citoyenneté a lu aux Assises de la citoyenneté, il est toujours d’actualité.

« Les cadres proposés par les collectivités sont toujours trop institutionnels même s’ils sont qualifiés d’indépendants et la vie démocratique se développe dans de multiples espaces, lieux, moments que la ville heureusement ne pilote pas.
La participation des habitants se fait d’abord dans la vie associative, les clubs sportifs, les associations de parents d’élèves, d’habitants, de quartiers, dans les rencontres de proximité organisées à l’école, au marché, avec ses voisins ou à la MDH… il s’agit de les soutenir et de les écouter. Quand on parle de «pouvoir d’agir des habitants» c’est d’abord autour de projets, d’envies, d’idées, de pratiques intergénérationnelles, voir de colères … que les grenoblois s’engagent. La question à poser ici est bien la valorisation de cet engagement. »

Aujourd’hui encore, malgré la création des CCI, cette question reste entière.

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