Le maire, Eric Piolle, et son adjointe à la culture, Corinne Bernard, tous deux en place depuis deux ans, m’ont fait désespérer un peu plus encore de la situation politique de notre pays par leurs actions, et leurs propos, à peu près équivalents dans la teneur et dans le fond à ce qui se passe partout ailleurs en France.

Ma déprime et ma sidération sont à la hauteur de mes espoirs déçus… Mon cri du cœur aujourd’hui c’est : «Oh non ! Pas eux aussi !»

A Grenoble, le milieu culturel local comme on dit est très remonté contre le maire et son adjointe «aux cultures». Autant que leur politique concrète, c’est leur conception et leur vision floue voire tendancieuse du sujet qui sont remises en question.

Aux reproches qu’on leur fait, ils rétorquent qu’ils sont victimes d’acharnement politique (c’est l’ancienne majorité socialiste battue aux dernières élections qui est visée), et surtout ils réaffirment haut et fort leur engagement et leur conviction vis-à-vis de l’art et de la culture.

Mais dans les faits :

– En 2014, l’orchestre de Grenoble (les Musiciens du Louvre) se voit supprimer d’un coup la totalité de sa subvention municipale.

– Début 2015, la mairie décide de reprendre autoritairement en main la gestion de deux théâtres de création, – le Théâtre 145 et le Théâtre de Poche – financés par des subventions de la ville mais tenus par un collectif de bénévoles depuis cinq années, et les intègre dans le giron de son théâtre municipal (nouvelle politique de ce théâtre municipal : les compagnies sont invitées à jouer «à la recette» – dans la rue, on dit «au chapeau»).

– Fin 2015, la mairie annonce qu’elle baisse les subventions municipales accordées à la MC2.

– Dernièrement, en 2016, c’est la liquidation pure et simple par la mairie d’un établissement emblématique de Grenoble, le Ciel, consacré aux musiques actuelles.

En m’intéressant de près au sujet, envisageant même la possibilité de l’intégrer à un projet d’écriture théâtrale, je découvre qu’effectivement ces gens développent un vrai programme en direction de la culture, et c’est ça qui m’interpelle, intellectuellement parlant. Un programme constitué d’éléments qui forme un drôle de mélange, absolument inédit. Face aux critiques qui tombent de toutes parts, les arguments du maire sont les suivants : «La ville de Grenoble s’engage en 2016 dans un processus de soutien plus lisible, plus équilibré, et mieux coordonné sur le territoire, des projets de création des équipes artistiques…»

Quand on cherche à comprendre ce que signifient en langage clair de telles déclarations, on se rend compte que ce qui motive en partie ces décisions, qui affectent directement des établissements culturels à Grenoble, ce sont leurs actions jugées trop élitistes, c’est-à-dire «trop entre soi», ou trop «théâtreuses», pas assez populaires. Le maire a, en effet, un petit souci avec «le logiciel de pensée Malraux-Lang» (comme il dit) des gens de la culture en général et du monde des arts vivants en particulier, synonyme de politique dispendieuse et élitiste. Il ne cesse de répéter qu’on en a fini avec cette ère idéologique d’opulence voire de nantis comme si les artistes n’en avaient pas eux-mêmes conscience.

Sa politique, c’est la «culture pour tous». Pour cela : «L’art doit investir la rue, il s’agit enfin d’accueillir des propositions artistiques dans l’espace public.» Dans un élan inspiré qu’on pourrait qualifier de naïf, il dit : «On veut surtout accorder une place importante aux pratiques. La culture, c’est des rencontres, une source de joie, un pinceau, un instrument de musique, un tutu, c’est un besoin humain d’expression.» Il dit aussi en même temps comme tout Ponce Pilate politique qui se respecte : «La baisse des dotations de l’Etat nous contraint à revoir le périmètre des subventions.»

Mais il dit aussi toujours dans le même temps, imprégné d’idéologie radicale : «Je prône un modèle de sobriété et de frugalité, notre objectif, c’est d’avoir des activités économiques correspondant à nos besoins fondamentaux (mobilité, sécurité, éducation, alimentation).» (Mince, dans cette vision étonnamment matéraliste de l’homme et de ses besoins, il a oublié la culture !)

L’autre élément de ce cocktail idéologique si singulier, c’est l’adjointe «aux cultures» qui l’énonce : «Alors que l’argent public se raréfie partout, il y a, en matière culturelle, comme ailleurs, de nouvelles agilités qui s’inventent et de nouveaux modèles en construction. Mutualiser, coopérer, innover…» Prenant en exemple des structures qui font appel essentiellement à d’autres sources de financement, comme le mécénat, l’adjointe appuie : «C’est une pratique de plus en plus courante, des gens qui viennent avec des idées de financements autres.»

La même adjointe aux cultures, qui, lors de l’inauguration d’une exposition photographique consacrée à Pina Bausch, avouait avec candeur et fierté qu’elle n’avait jamais entendu parler de cette chorégraphe avant, explique plus tard devant un parterre de compagnies de spectacle vivant grenobloises que «quand on parle de Grenoble à l’extérieur, on n’entend jamais dire que c’est une capitale culturelle». Et de rajouter : «C’est ça notre chantier, votre chantier, […] qu’on puisse arrêter de dire que la culture, c’est cher mais [dire] que c’est du développement économique […] et que peut-être les gens pourraient venir en tourisme à Grenoble pour la culture.»

Voilà ce que je retiens de cette politique qui se vante d’en être une et d’avoir de l’ambition. C’est un cocktail, un bazar, un agglomérat de pièces hétéroclites, foutras idéologiques, allant d’un côté, du plus libéral économique (n’attendez pas tout des financements publics, soyez aussi créateurs en terme de financements, le mécénat privé voilà l’alternative) au plus populiste (la culture pour tous, pas une culture mais des cultures, la culture, ça s’affiche, les artistes professionnels sont des nantis, tout le monde est artiste, opposant dans les faits les artistes professionnels aux amateurs), en passant par l’aspiration révolutionnaire à la décroissance (la sobriété et la frugalité doivent être également appliquées à la culture, qui est une activité humaine comme les autres).

Un tout finalement compliqué, contradictoire et paradoxal, mâtiné de suffisance et d’arrogance, de naïveté, à la Bouvard et Pécuchet, qui fait honte à ce parti dont je me sentais un proche et un sympathisant. Une politique culturelle qui a cette particularité de se rapprocher tristement de toutes les politiques en vigueur dans notre pays, celles déjà en action, et celles qui aspirent à prendre le pouvoir.

Joel Pommerat Dramaturge, metteur en scène. »

– Grenoble : le maire Eric Piolle répond aux critiques de Joël Pommerat sur sa politique culturelle :

http://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-culture/grenoble-le-maire-eric-piolle-repond-aux-critiques-de-joel

Grenoble ; déception de l’écologie culturelle ? Stop au bashing !
« Si vous avez lu Libé aujourd’hui, vous serez peut-être tombé sur une tribune titrée en Une : « Grenoble, la déception de l’écologie culturelle » du metteur en scène Joël Pommerat.

Sa dernière pièce, « Ça ira – Fin de Louis » a été couverte de « Molières » cette année. Elle passait la semaine dernière à la Maison de la Culture de Grenoble (MC2). Corinne Bernard, l’adjointe aux cultures EELV, l’a vu et a incité plusieurs autres élus de la ville, dont Eric Piolle, à y aller. Nous sommes tous sortis enthousiastes de ce spectacle de 4h30… Cette tribune à charge nous fait donc d’autant plus mal.
Sur le plan politique, cette tribune est moche, très moche: poncifs, amalgames, petites phrases sorties hors contexte, approximations,… et surtout condamnations politiques scandaleuses et injustes qui apparaissent comme des commandes : Joël Pommerat ne connait pas Grenoble, il le dit d’ailleurs, il était « de passage une semaine ». Comment peut-il donc se permettre de dresser un tableau aussi négatif sur des dossiers qu’il ne connait pas ? En fait, il y a très probablement derrière lui d’autres personnes, dont le directeur de la maison de la culture de Grenoble, plus grande scène nationale de France et qui est par ailleurs président de l’association des scènes nationales. Il ne supporte pas les 100 000 euros de baisse de la Ville cette année (sur le plus gros budget de France pour une scène nationale : 12 millions d’euros). Et sans doute aussi l’ex-président de la MC 2 de 2004 à 2014 qui a laissé enfler un déficit structurel de + 300 000€, Jerome SAFAR, ex-adjoint aux finances de M. Destot et tête de liste PS aux municipales de 2014, qui a tout à craindre de la sortie prochaine d’un rapport d’analyse de la Chambre régionale des Comptes portant sur les 10 ans de sa présidence. Dresser un nuage de fumée via des acteurs culturels connus devient dans ce contexte, fort opportun…
Ce qui est étonnant c’est que l’on a très peu entendu les grands acteurs culturels lorsque le département de l’Isère – PS – a baissé de plus de 35% ses aides à la culture entre 2009 et 2013. On pourrait aussi s’étonner que Pommerat dont le spectacle tourne sur beaucoup de scènes nationales dont les budgets sont quasi tous en baisse s’en prenne spécifiquement à Grenoble… A lire sa tribune on peut penser qu’il a été proche des écologistes mais qu’il est déçu… On peut aussi penser qu’il est plus facile de cracher sur la seule grande mairie écologiste de France plutôt que sur les maires de droite ou de gauche qui sont contraints comme nous de baisser leurs subventions mais qui ont des réseaux influents… Et de ne pas dire un mot de la concentration de la manne publique du ministère de la culture dont 70% du budget arrose les grandes institutions parisiennes, ni un mot de l’étranglement par ce gouvernement « socialiste » des collectivités locales qui financent l’essentiel des politiques culturelles en province… c’est assez fort de café !

Sur le fond, on pourra constater un immense amalgame entre plusieurs dossiers différents (qu’il n’est pas utile de détailler pour les non grenoblois) mais qui ont tous pour point commun une baisse de participation de la Ville (et encore ! le Ciel qu’il cite va fermer dans son modèle actuel suite au retrait brutal de l’Etat et de la Région). Pour les grands acteurs culturels, toucher aux subventions, c’est remettre quasi en cause la démocratie : depuis 2 ans, on a eu droit à toutes sortes de citations, de Churchill a Malraux en passant par Camus pour dire à quel point la culture, leur culture en fait, est au-dessus de tout.
Curieusement, il n’y a par contre jamais eu d’expression sur les « non publics de la culture », titre d’une étude très poussée de l’Observatoire des Politiques Culturelles qui montre que le spectacle vivant concerne un public vieillissant et représentant à peine 10% des Grenoblois en ce qui concerne la MC2 (et encore moins pour beaucoup d’autres structures). Manifestement ces 90% ne doivent pas faire partie de notre système démocratique… Et quand il s’attaque à notre « culture pour tous » avec des raccourcis scandaleux, on comprend vite que Pommerat, comme beaucoup d’autres acteurs culturels, défend avant tout sa corporation.

Alors évidemment, le milieu du spectacle vivant qui vit de subventions qui n’ont cessé de progresser depuis Lang est aujourd’hui en grande difficulté. Beaucoup de projets culturels ont mis la clé sous la porte et ceux qui sont encore debout sont pour beaucoup en survie. On peut comprendre les coups de gueule d’acteurs culturels en précarité qui ne peuvent pas imaginer qu’une ville comme Grenoble est réellement en grande difficulté financière. Et qu’il n’y a évidemment rien de plus dur que de devoir gérer uniquement des baisses alors que nous voulons mettre en place notre projet de transition écologique…

Mais si on peut comprendre la détresse d’une partie des acteurs culturels, il est plus difficile d’accepter la mauvaise foi et le mépris de ceux pour qui l’avenir n’est pas en danger et qui ont oublié depuis longtemps la dimension citoyenne du travail de l’artiste. Pour eux la question se résume à « tu m’aimes ? Alors combien tu me donnes ? ». Mais évidemment ils ne se posent jamais la question plus générale : sachant que notre budget municipal est en baisse ce qui n’était jamais arrivé depuis la décentralisation, que nos impôts sont les plus élevés de France (la dépense par habitants aussi) et que notre endettement flirte avec la ligne rouge, si l’on sacralise le budget culturel, ou doit-on faire des coupes encore plus dures ? Dans la politique scolaire ? Dans le budget du personnel (on ne remplace déjà plus tous les départs) dans la propreté urbaine, dans la santé ? Le Sport (déjà fortement en baisse) ? La police municipale ? etc… évidemment, jamais ces artistes de renom ne se prononcent sur cette question qui oblige à reposer la question culturelle au cœur des enjeux de notre société a bout de souffle. Ils préfèrent ricaner sur une adjointe à la culture qui ne sort pas du sérail des acteurs culturels et qui ne maitrise donc pas tous les codes de l’entre soi.
Nous avons probablement fait de conneries, mais malgré tout nous essayons de garder le cap : la culture à Grenoble mérite mieux que ces postures désolantes, ce « tout est nul ». Car malgré un héritage catastrophique (il pleut dans des écoles et même à l’hôtel de ville !) et des contraintes budgétaires maximales, nous continuons d’innover (comité d’avis pluraliste et ouvert à des non élus sur les subventions aux acteurs culturels), de pousser les acteurs à mutualiser les ressources, de baisser les tarifs pour les jeunes, de vouloir soutenir tous les acteurs, pros comme amateurs, et toutes les esthétiques pour permettre aux grenoblois d’exercer leurs droits culturels….

Olivier Bertrand Pierre Mériaux
Conseiller municipal, Conseiller municipal délégué »