Pierre Rabhi : COP21tout cela ne sert à rien si nous ne travaillons pas à une alternative

Une fois n’est pas coutume, nous reproduisons des extraits d’une interview de Pierre Rabhi parue dans Le Monde du 28 Octobre  intitulée :« La COP21 ne s’attaque pas aux sources des déséquilibres »

Dans un mois, les dirigeants de 195 pays se penchent sur le futur de la planète avec la COP21 : la Conférence de Paris sur le climat.
Point de vue de ce paysan-philosophe de 77 ans qui ne se fait guère d’illusion sur l’issue de la conférence…

Pierre Rabhi : Il ne sortira rien de cette énième grand-messe. J’ai du mal à croire que les changements structurels nécessaires y soient actés. Il faut entrer dans une nouvelle ère, celle de la modération : modération de la consommation et de la production. Les États vont-ils décider d’arrêter la pêche industrielle et l’agriculture intensive, et ainsi cesser de piller les océans ou la terre ? Vont-ils réfléchir à un juste partage des ressources entre Nord et Sud ? Je n’y crois pas. Or il y a urgence, car ce n’est pas la planète qui est en danger mais l’humanité. La Terre, elle, en a vu d’autres. Ce que je reproche à la COP21, c’est de faire croire que ces discussions permettent de résoudre les problèmes, alors qu’on ne s’attaque pas aux sources des déséquilibres. C’est le même travers que celui de l’humanitaire, qui consiste à être généreux envers des personnes que le modèle a rendus indigents.
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La problématique de l’alimentation est majeure et n’est pas, traitée comme il se doit. Au Nord, l’alimentation est de plus en plus frelatée, la façon de la produire est destructrice de sols et d’environnement ; au Sud, les peuples souffrent de pénurie chronique. Il faut donc une remise en question complète de notre modèle. Vont-ils l’aborder sous ce prisme ?
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Cela fait des années que nous travaillons avec Terre et Humanisme [association créée par Pierre Rabhi il y a vingt et un ans] pour diffuser l’agroécologie, dont on parle maintenant comme étant la meilleure façon de produire…  Elle ne se résume pas à des techniques, mais répond à une éthique de vie qui consiste à préserver la terre en tant que patrimoine. Un parallèle peut être fait avec l’engouement actuel pour le bio.

Le bio, c’est très bien, mais on peut manger bio et… exploiter son prochain, ce n’est malheureusement pas incompatible. Ce que je veux dire, c’est que tous les beaux mots, bio, COP21… tout cela ne sert à rien si nous ne travaillons pas à une alternative, si l’humain n’entreprend pas un travail d’introspection, car le problème est en nous. Il faut évoluer, quitter le culte d’une croissance indéfinie, du toujours plus, de cette accumulation de biens, qui ferait prétendument notre bonheur. La consommation d’anxiolytiques et les inégalités sans cesse croissantes démontrent le contraire. Il faut s’engager dans la puissance de la modération, de la sobriété.
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Le monde de l’agriculture porte un contentieux séculaire. Le paysan a de tout temps été le « pauvre type »….Puis un beau jour on lui a dit : « Paysan, tu vas devenir moderne, tu vas avoir des machines, tu ne seras plus un plouc mais un exploitant agricole. » On leur a fait miroiter un changement de statut et ils se sont fait piéger. Aujourd’hui, ils alimentent tout le monde – les banques avec leurs emprunts, les industriels avec l’achat du matériel et des produits chimiques – tout en s’appauvrissant eux-mêmes…. Il faudra une profonde et difficile remise en question du monde paysan pour parvenir à faire machine arrière.

D’un autre côté, il existe aussi une montée de l’engagement citoyen, un foisonnement de projets, agricoles ou non, qui se développent dans les territoires. C’est plutôt porteur d’espoir…

La société civile est en train de se forger un nouvel imaginaire face à un système à bout de souffle, dont le déclin se traduit par la montée du chômage, de la pauvreté et de nombreux déséquilibres. Comme ce système n’est plus rassurant, les citoyens cherchent des alternatives. Les innovations sociales qui se multiplient sur les territoires, dans l’écologie, les énergies renouvelables, l’éducation… sont autant d’expérimentations qui vont assurer le futur. Si nous avions des politiques intelligents, ils appuieraient ces initiatives qui émanent de la société civile….Encore faut-il mettre en musique ces expérimentations pour leur donner de l’ampleur…

Interview de Frédéric Cazenave  Journaliste au Monde

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