Intervention de Jean-Philippe Motte à la soirée de Témoignagnes consacrée à Paul Keller

 


Intervention de Jean-Philippe Motte à la soirée de Témoignagnes consacrée à Paul Keller
Paul a fait partie du groupe fondateur de GO 95 qui s’est réuni à partir de l’hiver et du printemps 93 (une trentaine de personnes) et s’est constitué publiquement à l’occasion d’une assemblée générale tenue dans une des salles du fort de la Bastille où nous étions une centaine, le 18 septembre 1993, il y a 20 ans.Qui étions-nous ? Un rassemblement de personnes issues principalement de trois composantes de la société locale : milieu politique de gauche, monde associatif, mouvement syndical.
Nous partagions la volonté de créer les conditions d’une victoire de la gauche aux municipales de 95, mettant fin « aux années Carignon », et de le faire sur une base de renouvellement des pratiques politiques : mieux impliquer les habitants dans les affaires publiques, faire confiance à leur capacité à être des citoyens actifs dans la construction de la cité, reconnaître le rôle majeur des associations comme médiatrices dans le parcours qui va de l’expérience individuelle à l’action collective.

Renouvellement des pratiques politiques passant aussi par le cheminement de la décision politique qui distingue le temps de l’information des citoyens, celui de la délibération (réflexion partagée, confrontation des points de vue), celui de la décision résultant ou non d’un compromis) et enfin celui de la mise en œuvre de celle-ci.
Renouvellement se traduisant enfin dans l’exercice de la responsabilité politique cherchant à lui donner une assise élargie et une clarté qui la rendent plus accessible et plus lisible par l’ensemble des citoyens. Avec un symbole et une mesure forte exprimée dès ce moment-là : le non cumul des mandats.

« Mouvement politique local », ainsi nous définissions-nous pour signifier cette volonté de « faire de la politique autrement » autre expression de l’époque, mouvement et non parti, évolutif, ouvert, divers, favorisant la mise en route des personnes en ménageant leur propre rythme.
Et « local ? » : favoriser une approche politique à partir des enracinements des personnes dans un territoire, une association, une communauté. Partir du terrain et du quotidien pour s’inscrire dans la recherche du bien public et dans le débat politique, que celui-ci soit de nature locale ou de portée globale, qu’il concerne tout à la fois la ville et le pays. Refonder la gauche et sa visée de transformation sociale, à partir d’une conscience civique et une capacité citoyenne reconnues et restaurées.
Quelques figures animaient notre aventure et symbolisaient alors notre mouvement naissant : Daniel Hollard et Etienne Gonzalès, tandem emblématique, imaginatif et productif, Gérald Dulac, Philippe Gaillard, Françoise Trahand, Françoise Laurant, Jean Caune, Bernadette Aubrée, Jean-François Parent venu du Mouvement des Citoyens, d’autres encore… Jean Giard nous rejoindra un peu plus tard au cours de l’année 1994 avec les refondateurs communistes.

Parmi elles, Paul Keller, grande silhouette, source permanente d’inspiration et de propositions, attentif à promouvoir et formuler des synthèses créatrices, plein d’allant, à faire progresser nos échanges et nos débats. A son côté Simone, moins visible mais non moins présente, exigeante, active et pertinente.
On retrouve la patte de Paul dans maintes réflexions portées dans le discours des premiers temps de GO et que j’ai rappelées brièvement dans mes propos précédents. Je n’y reviens pas. Je voudrais plutôt souligner la permanence de la présence de Paul au sein de GO et jusqu’il y a peu. Il y a le bonheur des commencements, l’allégresse des départs. Et puis le « dur désir de durer », la patience et la lenteur des avancées, les risques d’enlisement, les combats douteux, en tout cas laborieux pour changer quoi que ce soit au cours des choses et au désordre établi. Paul nous accompagnés, alimentés, soutenus au fil du parcours de ce qui est devenu fin 95 « Go Citoyenneté » dans ses ouvertures et ses impasses, dans sa consistance et ses insuffisances.
Je prendrai un seul exemple, très significatif à mes yeux, de l’apport de Paul à la réflexion politique c’est son regard sur la laïcité. Je cite pour ce faire les éléments d’un texte de 2004 rédigé par lui dans le cadre d’un groupe de travail. « La laïcité instaure l’autonomie du politique par rapport au religieux et s’oppose à toute main mise des institutions religieuses sur la société ; la laïcité est anticléricale, mais non antireligieuse ».

Aujourd’hui trois questions majeures se posent :

1) que devient l’espace public ? Il doit être « neutre ». Mais acceptons-nous qu’il soit le lieu du débat, y compris sur les croyances et les convictions ? Et que la laïcité soit inclusive et non exclusive ? Il ne faut pas rejeter les identités religieuses hors de l’espace social. Je cite encore : « Dissocier la sphère du politique de la sphère religieuse doit conduire non à refouler le religieux dans le domaine du privé et de l’intime, mais à le banaliser en lui faisant place dans l’espace public, dans les associations.»

2) La démocratie étant pluraliste, comment reconnaître et gérer la diversité culturelle, mais s’opposer au communautarisme ?.
A cet égard les questions les plus concrètes sont celles que provoque l’Islam (voile, mosquée, formation des imams). Le communautarisme commence quand les citoyens ne sont pas égaux devant la loi. La laïcité est un état d’esprit, une culture qui intègre la différence de manière positive.

3) Quelle démocratie ? Avec la laïcité, il n’y a plus d’autorité supérieure pour organiser les sociétés de manière cohérente, mais appel aux seules démarches démocratiques de régulation. L’Etat n’est plus une figure d’autorité qui trace la voie, mais il assure le cadre collectif des libertés privées et les conditions de la libre concurrence des opinions individuelles. Paul met le doigt sur la tension qui caractérise notre démocratie – et peut la paralyser – entre l’assemblage des libertés individuelles, l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet collectif, d’une manière de vivre ensemble. Dans cette tension, la référence réitérée aux valeurs républicaines comme régulatrice d’une vie commune révèle la dimension spirituelle de la politique.

Permettez-moi d’évoquer d’un mot deux souvenirs personnels, deux coups de téléphone majeurs de Paul, dans mon itinéraire au sein de GO. Le premier à l’automne 94 où il m’interrogeait sur mon engagement et mon souhait d’être tête de liste. Je lui répondis que pour moi « le métier » de maire était le plus beau. « Alors vas-y » me dit-il. Le second dans la matinée du mardi entre les deux tours des municipales de mars 2008, après des discussions difficiles au sein de GO, une nuit courte, une négociation heurtée avec la liste PS et apparentés et une issue médiocre pour nous, dont je me sentais responsable. J’imagine que Paul m’appelait pour m’encourager. Je dirai sobrement qu’il fut le témoin fraternel d’un effondrement soudain et provisoire.

Dans le sillon que nous creusons collectivement pour construire un monde habitable, aussi bien une ville, une métropole, une région, plus largement une société – pour rappeler encore des propos de Paul – il y a la marche, il y a l’horizon, l’idéal qui nous anime et les pas pour nous en approcher.

Dans ce mouvement Paul et Simone, nous sont des guides sûrs.

Jean-Philippe Motte

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