Place Gre’net : entretien avec Paul Bron

http://www.placegrenet.fr/paul-bron-nous-etions-aveugles-persuades-de-la-victoire/

 

Place Gre'net : entretien avec Paul Bron
Quels enseignements tirer de la défaite électorale des municipales à Grenoble pour la majorité sortante ? Le droit d’inventaire a débuté pour « le groupe de minorité », sous l’impulsion de Go Citoyenneté. L’ancien adjoint à l’éducation Paul Bron n’hésite pas à souligner les désaccords stratégiques de campagne. Il analyse également les premiers pas de la nouvelle majorité et se montre préoccupé par sa politique d’éducation.

 

Issu d’une famille dauphinoise depuis le XVIIIème siècle, Paul Bron a été « marqué par une éducation très progressiste ». Enseignant à la Villeneuve, il réalise dans sa jeunesse un tour du monde pendant un an, avant de s’engager dans l’éducation populaire, le fil d’Ariane de son parcours professionnel.Dirigeant d’une association œuvrant à la défense des droits des immigrés, il est approché en 2006 par le mouvement Go Citoyenneté. Après avoir été adjoint à l’éducation de Michel Destot de 2008 à 2014, il est désormais le seul conseiller municipal « minoritaire » issu de cette formation politique locale qui a soutenu la liste de Jérôme Safar dès le premier tour des élections municipales.

Go citoyenneté organise, le 23 avril, une conférence pour « comprendre la nouvelle donne à Grenoble et agglomération ». Est-ce aussi une façon de faire le droit d’inventaire de la campagne municipale ?

Nous sommes désormais dans une phase de compréhension du résultat, après le décrochage de la majorité de gauche sortante au profit de l’autre liste de gauche. Les raisons de cet échec sont plurielles. Il y a évidemment le vote sanction de désamour de la politique gouvernementale, mais aussi plus localement, l’usure du pouvoir. Après 19 ans de gouvernance, il fallait donner de nouveaux signes de transparence. Enfin, notre liste a perdu le contact avec un certain nombre de réseaux qui, sous le mandat précédent, se sont constitués en collectifs (Mounier, Rocade nord, Esplanade) et ont exprimé plusieurs colères. Des colères de gauche pour la plupart. En plus de cette rupture, nous avons perdu des liens avec l’électorat populaire des quartiers sud qui représentait pour nous un fort potentiel électoral.

Enfin, nous n’avons pas compris le changement sociologique de la ville : l’aspiration des jeunes, des étudiants et des universitaires qui ont massivement voté pour Eric Piolle. Nous n’avons pas traduit cette volonté de changement de la pratique politique dans une ville championne de l’innovation !

Nous avons perdu. Pour passer à autre chose, il faut comprendre avant de reconstruire.

Estimez-vous que votre liste a commis des erreurs stratégiques ?

Les sondages nous ont encouragés à croire que nous allions gagner facilement. Cela ne nous a pas démobilisés pour autant car nous n’avons jamais baissé les bras. Je pense, en revanche, que nous avons fait une campagne trop traditionnelle qui n’était pas adaptée au désir de changement. La liste concurrente a anticipé cela, à commencer par la figure de son leader qui s’est imposée au fur et à mesure de la campagne, en laissant dans l’ombre ses partenaires improbables. Nous avons communiqué sur le palmarès de Grenoble, mais c’était inaudible pour un certain nombre d’habitants. Ces résultats étaient en décalage avec leurs préoccupations et leur façon de vivre.

Pendant l’entre-deux-tours, vous étiez un partisan de la fusion. Est-ce une erreur de l’avoir refusée ?

Partout en France, il y a eu un désistement des listes de gauche au profit de celle arrivée en tête. Pourquoi cela n’aurait pas pu être le cas à Grenoble ? Même s’il n’y avait pas de risque de faire gagner la droite, les désaccords entre nos listes n’étaient pas si criants. Nous avons fait les comptes. Il y avait 70 % de points d’accord programmatiques avec le projet d’Eric Piolle. En plus, l’offre de fusion à la proportionnelle nous donnait 23 places sur 50. C’était intéressant. Mais nous étions aveuglés, persuadés de la victoire.

Outre les pressions nationales et celles des parlementaires locaux, certains militants socialistes étaient également favorables à la fusion. Mais nous étions minoritaires dans le groupe des colistiers. In fine, c’est Jérôme Safar qui a pris sa décision, influencé par Michel Destot qui a joué un rôle majeur dans la campagne. Cela n’a fait qu’amplifier la chute.

Quel rôle comptez-vous jouer dans le mandat qui débute ?

Nous ne sommes pas une opposition, mais une minorité. Nous avons accepté le choix des Grenoblois en votant au conseil municipal pour désigner Eric Piolle comme maire de Grenoble. En revanche, nous nous sommes abstenus pour la désignation des adjoints car nous ne savions pas quelles seraient leurs délégations.

Nous serons une minorité constructive, vigilante et qui votera au cas par cas.

Avez-vous la culture d’opposition pour réaliser ce travail ?

Notre liste n’a pas été composée dans l’idée qu’on pouvait perdre, notamment pour définir les huit premiers candidats siégeant au conseil municipal. Nous sommes dans la majorité municipale depuis trois mandats. C’est évident que nous n’avons pas les réflexes d’opposition. À l’inverse, si la liste d’Eric Piolle a pu gagner, ce n’est pas seulement grâce à sa campagne, c’est aussi parce que les écologistes labourent le terrain depuis quinze ans, qu’ils sont présents dans les collectifs et élaborent des méthodes d’opposition. Nous sommes loin du compte.

Quelle est la méthode d’opposition que vous souhaitez mettre en place ?

Nous ne serons pas dans la dérive procédurière de l’Association démocratie écologie et solidarité (Ades) qui est intervenue uniquement à charge dans le mandat précédent, contre la politique d’éducation notamment, en portant des contre-vérités qui sont électoralement porteuses. Par dignité, nous ne serons jamais dans ce registre-là. Nous saurons aussi dire ce qui est bien. Go Citoyenneté a une tradition politique d’équilibre et de discours mesuré. Or, peut-être faut-il être dans la démesure pour prendre le pouvoir. Tant pis, c’est notre façon d’être. On ne changera pas.

Quel regard portez-vous sur les premiers pas de la nouvelle majorité ?

C’est un bon début, sauf le couac de la vidéosurveillance. Cette mesure figurait effectivement dans leur programme, mais leur projet idéologique avait pour but de marquer les différences politiques avec notre liste pour se démarquer. Maintenant qu’ils sont aux commandes, ils doivent gouverner pour tous les Grenoblois et entendre les aspirations d’une grande partie de la population.

Ce qui guette Eric Piolle et sa majorité, c’est sa radicalité. S’ils n’arrivent pas à composer et à écouter, ils prendront des décisions à contre-courant de l’opinion publique.

Leur défi sera également de maintenir l’unité de cette alliance politique improbable durant tout le mandat. Je reconnais toutefois qu’ils ont mené leur barque intelligemment durant la campagne, avec la montée en puissance d’Eric Piolle qui les a fait parler d’une seule voix en estompant leurs divergences.

Enfin, le bilan de Michel Destot était bon et la ville a un budget équilibré. Mais le principal chantier sera de retisser les liens entre le nord et le sud de la ville, car l’équipe en place ne représente pas cette diversité.

Vous étiez adjoint à l’éducation. Fabien Malbet est le nouvel adjoint aux écoles. Que symbolise pour vous cette différence lexicale ?

En réalité, ils sont deux à se partager mon ancienne délégation : Fabien Malbet et Elisa Martin, l’adjointe à l’enfance, à la jeunesse et à la tranquillité publique. C’est d’ailleurs très maladroit et ambigu d’avoir mélangé ces délégations. Je pense que la nouvelle municipalité n’a pas pris la mesure de ce qu’était l’éducation dans une ville de cette dimension. Ils ont une vision technique qui concerne les équipements et oublient la dimension pédagogique. Ils ont raison concernant la rénovation des équipements – je n’ai pas pu la réaliser car je n’avais pas le budget nécessaire – mais ce n’est pas parce que les gamins seront dans des palaces que les inégalités scolaires vont se résorber.

Admettez-vous aujourd’hui le manque d’équipements scolaires ?

Il y a eu une évolution des effectifs qui n’a pas été appréciée à sa juste mesure. Il fallait envisager la création de nouvelles écoles plus tôt. Mais le problème se présentait déjà lors du mandat précédent, avec l’émergence des projets d’urbanisme de la Caserne de Bonne et de Bouchayer-Viallet. Ces derniers ont été conçus lors du mandat 2001-2008, quand l’adjoint à l’éducation venait de l’Ades et l’adjoint à l’urbanisme des Verts. Eux-mêmes n’avaient pas pris la mesure du besoin scolaire sur ces quartiers. Il est trop facile de renvoyer la responsabilité sur l’équipe sortante, alors que déjà l’école Lucie Aubrac avait été construite trop petite. C’est la même chose dans le secteur 1.

Il faut agrandir des écoles et en construire de nouvelles, mais je le redis, ce n’est pas ça qui va résoudre l’échec scolaire, qui est le grand oublié de la nouvelle majorité.

Lors de son discours de politique générale, Manuel Valls a évoqué des « ajustements » de la réforme des rythmes scolaires. Continuez-vous de croire en cette mesure que vous avez tenu à mettre en place à Grenoble dès la rentrée 2013 ?

Vincent Peillon a cru que la réforme des rythmes scolaires serait adoptée facilement car il y avait un consensus politique avec la droite à ce sujet. Mais la résistance n’a pas été politique. Elle est venue des parents qui devaient changer leurs habitudes. La modification des rythmes scolaires a cristallisé l’ensemble de la refondation de l’école qui sera une aide précieuse pour lutter contre l’échec scolaire. Quelques difficultés demeurent comme la formation des animateurs, l’implication des communes dans les contenus pédagogiques et l’organisation des activités. C’est la première année d’application. C’est normal qu’il y ait des frottements.

Votre deuxième préoccupation politique, c’est la Métropole. Est-ce parce qu’à cette échelle, la majorité n’est pas encore clairement définie ?

Je ne suis pas impliqué personnellement car je ne siègerai pas au conseil communautaire, sauf si les élus me devançant sur la liste démissionnent. Mais je crois en une alliance PS-PC-écologistes à la Métro. Notre groupe d’opposition municipale se retrouverait alors dans la majorité métropolitaine.

C’est effectivement l’enjeu politique de demain, avec le passage en métropole en janvier prochain impliquant des transferts de compétences. La tâche s’annonce passionnante car tout est à construire. À l’avenir, je suis favorable à la disparition des départements au profit des métropoles pour alléger le mille-feuilles territorial. À plus long terme encore, les territoires devront s’organiser en fonction des bassins de population et des axes de vie qui transcendent les frontières départementales ou régionales actuelles. Chez nous, c’est le sillon alpin qui doit prévaloir. Enfin, pour préserver la ruralité, il faudra tisser les liens entre les intercommunalités de ces territoires et les métropoles.

Propos recueillis par Victor Guilbert
Photos de Chloé Ponset

L’entretien a été réalisé le vendredi 11 avril au café Milburns à Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.

Extrait d’ouvrage choisi par Paul Bron

« Comment concevoir l’école de demain sans se poser la question : de quel citoyen la société aura-t-elle besoin ? Pour se lever contre l’oppression, l’exploitation, pour vaincre les inégalités, l’injustice et la pauvreté, pour produire dans le partage, l’audace et le plaisir d’agir pour la communauté. »

La conviction qu’il en tire :

C’est un petit livre plein de bon sens, écrit par une Grenobloise avec qui j’étais enseignant à la Villeneuve à l’école du Lac. J’en conseille la lecture aux deux nouveaux adjoints en charge des questions d’éducation, même s’il y a dans les rangs écologistes le très bon pédagogue Philippe Meirieu qui écrit aussi des choses intéressantes. Il faut puiser les bonnes idées partout, car la résistance, c’est « quoi faire à la place ». Les enseignants ne peuvent pas assumer seuls la responsabilité du changement pédagogique. Toute la société doit s’impliquer.

 

Place Gre'net : entretien avec Paul Bron