Grenoble : les rendez vous ratés de la culture

La dernière rencontre du « chantier des cultures » initiée par la majorité grenobloise s’est déroulée le Mardi 15 Septembre 2015, à La Belle Électrique à Grenoble.

Suite à la colère et au dépit de nombreux participants, exprimés à la mesure de leur espérance…nous publions la réaction de 2 militants de GO, la lettre lue par le représentant de 22 compagnies culturelles locales signataires, ainsi que des extraits du discours de l’adjointe aux culture qui a bien voulu répondre à notre sollicitation. Nous reproduisons de même l’article du journal local.

Nous vous invitons d’autre part, à consulter le « Forum des lucioles » dont  l’intention est de « contribuer, en liaison avec d’autres démarches, à la co-construction d’une politique culturelle de la métropole grenobloise ».

http://forumdeslucioles.wix.com/lucioles

« Ceux qui avaient été invités aux premières réunions publiques du Chantier des Cultures se sont retrouvés à la Belle Électrique le mardi 15 Septembre : une assemblée nombreuse qui témoigne une fois de plus de l’attente de débats, de rencontres et de réponses de la nouvelle équipe Municipale.
Cinq élus de la Ville ont abordé de leur place, la façon dont ils entendaient faire culture.
Le discours central a été celui de l’adjointe aux cultures : « Une Culture par tous et pour tous », « renouer avec une utopie que chaque habitant peut rencontrer la culture dans cette ville et qu’il a, à ce titre, aussi son mot à dire sur la manière d’organiser la culture dans la ville » ( cf. plus loin). Une belle déclaration « humaniste » pour reprendre le mot des professionnels, mais renvoyant dos à dos, les amateurs aux professionnels, les citoyens aux programmateurs de salles et aux créateurs.
Notre propos n’est pas de porter un jugement abrupt sur une analyse qui doit faire débat : on ne peut pas reprocher à des élus de définir ce qu’ils estiment être juste et la vision dont ils veulent être porteurs.

L’étrangeté de ce Chantier, c’est que tout était bouclé pour ne donner la parole qu’aux élus et à cinq porteurs de projets, avec pour souffler, en entracte, un diaporama à rougir. Aucune ouverture de questions, ni sur les interventions des élus, ni sur les projets : c’est vraiment une drôle de façon d’inviter les citoyens au débat.

Les professionnels du spectacle vivant ont été obligés in extremis de prendre la parole pour exprimer leur questionnement et leur désarroi : pour avoir comme réponse « on vous écrira… ». Le Dauphiné Libéré rend assez bien compte de ce qui s’est passé.

De la violence, il y en a eu, Olivier Bertrand, mais par forcément du côté où vous le dites : Pour nous à GO, très tranquillement, c’est inacceptable d’oser organiser une réunion de ce type quand on se réclame d’être les chantres de la participation des citoyens : nous ne voulons donner de leçon à personne, bien sûr, l’exercice est difficile, mais parlons-en au moins de cette difficulté, au lieu de la fuir, entendez la voix d’autres citoyens que vous –mêmes, qui se lèvent pour vous dire que vous vous trompez, qui en appelle à votre enfermement dans des références primaires et simplistes.

Nous espérons que c’est une nouvelle tentative, maladroite, on a le droit à l’erreur, nous vous le reconnaissons sans procès d’intention.
Mais ne pensez pas qu’à travers les trois ateliers que vous proposez, quelques soient leur intérêt : la pratique artistique en amateur, la création, et l’art dans la rue, vous aurez ouvert avec les grenoblois le grand débat sur la Culture que vous nous aviez annoncé. »

Un militant de GO

« Pourtant il reste beaucoup matière à penser dans un monde qui bouge. Lors du dernier séminaire de Go Citoyenneté, nous nous sommes questionnés sur les pistes à étayer. Il n’a été question que des liens à tisser, des expérimentations en cours qui demandent des visions plus durables. Le citoyen, comme les professionnels culturels ne sont pas un. Une co construction dans un cadre partagé et rigoureux pourrait commencer afin que chacun puisse mieux définir sa place. La concertation, ce n’est pas qu’une accumulation d’envies, c’est aussi construire, comprendre cette articulation avec les autres, pour un projet plus collectif.
Les champs d’exploration sont pourtant nombreux, parmi eux :
– l’éducation nationale : quelle articulation entre les différents acteurs dans les temps périscolaires ?
– L’occupation des salles de spectacles développés comme un lieu d’accueil et de partage
– La définition d’un budget à la culture, et de ces critères de répartitions…
L’identité du citoyen, pris dans un collectif organisé est à encourager. Ce lien fragile est une chance et dit quelque chose du vivre ensemble. Il ne devrait pas être vu comme un obstacle aux yeux des femmes et des hommes politiques.  »

Une militante de GO

 

Article du Dauphiné Libéré du 17 Septembre 2015

la ville a-t-elle vraiment une politique culturelle 17 09 2015

Extraits du discours de l’adjointe aux cultures :

« …/… Je suis d’accord que je vous dois une parole politique….

Nous sommes dans une période, … de changements et d’incertitudes, donc d’apprentissages, d’interrogations, de transformations, de résistances, de découragement, de ténacité, de redécouverte aussi.

Redécouverte du combat collectif et des rassemblements populaires contre la crise chez nos voisins européens, redécouverte semblerait-il aussi de la fragilité humaine, et de la tragédie, celle qui s’échoue sur les plages, redécouverte enfin, on voudrait y croire, de notre part d’humanité avec de la solidarité spontanée.

Pour notre majorité l’argent public – et donc les politiques publiques qui sont mises en œuvre avec cet argent – doit servir l’intérêt général. Et donc la première exigence qui fonde notre politique publique culturelle c’est de pouvoir permettre à des lieux culturels d’exister, favoriser des pratiques culturelles, garantir une offre culturelle, impulser des réflexions culturelles… sur le territoire grenoblois, pour les Grenoblois, qui leur permettent de s’émanciper, de se former, d’apprendre, simplement de se faire plaisir, simplement de rêver, simplement de réfléchir… C’est permettre le bien vivre dans la Cité.

….L’importance des structures culturelles à Grenoble, est une magnifique force. Ces richesses culturelles comptent beaucoup dans le patrimoine et les finances de la ville / mais il doit y avoir la contrepartie à cette dotation hors du commun et à cette qualité des équipements culturels de Grenoble : ces richesses culturelles doivent être accessibles à tous !.. « que chaque Grenoblois puisse rencontrer chaque jour l’art et la culture, notamment dans l’espace public ». Les mots peuvent être différents, le chemin et le but final sont toujours les mêmes. …

Un autre aspect fondamental de notre vision des politiques publiques culturelles, et ceci s’incarne d’ailleurs dans le nom de ma délégation – c’est la volonté de ne pas distinguer de manière hiérarchique les cultures. Cela ne veut pas dire que tout est dans le tout. Cela ne veut pas dire que le relativisme est acceptable.
Cela veut simplement dire que nous considérons que beaucoup d’aspects des histoires des communautés font culture…

En ce qui concerne les choix esthétiques, je ne conçois pas mon rôle d’adjointe aux cultures comme étant quelqu’un qui doit les juger…

Pour continuer le travail de co-construction, voici les pistes de travail qui vont être les miennes :

1. En premier lieu, je veux que la Ville de Grenoble puisse réinterroger, tout en assumant l’héritage, le soutien municipal à la création artistique, avec vous tous..;

2. En second lieu, je veux voir dynamisées et facilitées les pratiques artistiques amateurs….
Au-delà, je veux que Grenoble porte un projet d’éducation artistique et culturelle ambitieux, en lien avec les acteurs que vous êtes…. »

Corinne Bernard, Adjointe aux cultures de la ville de Grenoble.

Discours disponible sur le site de la ville

 

Lettre des compagnies culturelles  lue lors de ce « chantier des cultures ».

Monsieur le Maire,
Madame l’Élue aux cultures,

Dans votre lettre d’invitation à ce troisième chantier des cultures, vous mettez en avant votre volonté de construire avec les citoyens une nouvelle politique culturelle, permettant aux grenoblois d’accéder « mieux et plus » à la culture.

Si nous partageons cette volonté, nous interrogeons les conditions de sa mise en œuvre.
Vous dites souhaiter « vous appuyer sur les professionnels de la culture comme sur les amateurs ». Depuis un an nos sollicitations pour mener avec vous cette réflexion constructive restent sans réponse. En lieu et place, vous semblez opposer les citoyens et les acteurs culturels. Vous ne vous appuyez pas sur notre pratique et notre expérience pour construire votre projet. Vous nous renvoyez à une seule place contestataire, comme si nous ne savions défendre
que nos intérêts.

Nous vivons Grenoble comme une ville de musique, de danse et de théâtre d’art, se conjuguant à une tradition forte de l’action culturelle et de l’éducation populaire. Nous revendiquons la plus haute exigence artistique et culturelle pour le plus grand nombre et
œuvrons pour cela au quotidien. Nous travaillons pour que chaque jour, le fruit de nos recherches et de nos créations rencontre le plus grand nombre. « Un théâtre populaire est un théâtre de création » défendait Jean Vilar. Oui ! Créons des spectacles, continuons nos actions de médiations, marchons avec le public, valorisons les pratiques amateurs ! Mais vous n’aurez de pratique amateur de qualité que si elle est accompagnée par des professionnels qualifiés.
Peut-on jauger la qualité des démarches artistiques et le montant de leur subventionnement uniquement au nombre d’actions culturelles menées par les équipes sur le territoire ?

Si vous continuez sur ce chemin, vous aurez des bataillons de médiateurs, d’animateurs, mais vous n’aurez plus d’artistes pour créer. Nous serons forcés de chercher ailleurs, auprès d’autres territoires et d’autres collectivités, la confiance et l’écoute qui sont nécessaires pour que s’organise cette relation, cette alliance, entre le public, l’artiste et le politique. Nous partirons ailleurs chercher un soutien de la part de responsables politiques qui n’ont pas peur de la pensée et qui croient, comme nous, que l’exigence de la création artistique est une des clés de l’éducation populaire.

Vous méfiez-vous de notre pensée ? Penser serait-il devenu suspect ? L’art n’est pas qu’une question de savoir faire, c’est aussi et d’abord une pensée en action. Nous ne comprenons pas la suspicion que vous faites peser sur nous, ce préjugé de notre désintérêt pour
un public que vous semblez mieux connaître que nous, puisque que vous avez l’air d’avoir défini ce qu’il est capable de trouver beau ou pas, ce qui est bon pour lui ou non. Nous n’avons pas cette prétention.

Vous participez sans le vouloir à un mouvement profondément bien pensant mais terriblement dangereux : celui de la censure par le « populaire ».
Vous parlez d’un public qui n’a traditionnellement pas accès à la culture et à l’art. Et c’est à ce public que vous voulez tendre la main en lui demandant quelle offre culturelle il veut pour demain. Comment peut-il désirer ce qu’il ne connaît pas ?

Avec une telle logique, votre démarche participative court le risque de devenir une démarche d’offre et de demande.

L’art et la culture doivent résister au consumérisme. Nos œuvres doivent continuer à pouvoir emmener un public là où il ne s’y attend pas, l’extraire de son quotidien et lui permettre de regarder le monde autrement. Quand l’art et la culture doivent répondre aux envies des citoyens, ils ne tiennent plus leur place dialectique et polémique qui est leur essence même et leur raison d’être. Favoriser la création, ce n’est pas confisquer la parole publique aux citoyens, c’est au contraire la leur rendre.

Si nous sommes inquiets d’un point de vue idéologique et politique, nous le sommes aussi pour la vitalité de nos structures. Vous avez effectué des coupes budgétaires conséquentes.
Mais qu’elle est la logique qui préside à vos choix ? Contrairement à la volonté de transparence que vous affichez avec votre démarche participative, vos critères de décisions nous apparaissent opaques.

Pour travailler, nous avons besoin de lisibilité.

Vos décisions et vos annonces publiques hypothèquent grandement les projets que nous portons et fragilisent nos structures. À titre d’exemple « l’expérimentation du Tricycle » que vous disiez « tellement bonne » il y a un an est aujourd’hui dans la plus totale incertitude sur son devenir.

Si vous nous inquiétez, vous inquiétez aussi nos partenaires .Si vos décisions sont illisibles pour nous, elles le sont aussi pour les autres collectivités territoriales. Votre soutien annoncé à nos projets n’est plus un gage suffisant dans le dialogue avec eux. Ils ne considèrent plus votre appui comme une assurance, ni votre parole comme un engagement. Nous avons besoin de votre crédibilité pour être crédibles auprès de nos autres partenaires.

Nous avons bien compris que vous ne vouliez pas de politique de rayonnement. Mais nous ne travaillons pas avec les autres collectivités territoriales pour rayonner. Nous travaillons avec elles pour rendre possibles nos projets. Nous n’organisons pas des tournées pour nous enorgueillir de notre reconnaissance, mais pour que nos travaux soient vus, partagés et débattus avec le plus grand nombre. C’est aussi dans les tournées et dans l’ailleurs que nous rencontrons d’autres artistes, d’autres publics. C’est dans l’ailleurs que nous apprenons. Vous ne voulez pas de politique de rayonnement, mais encourager les artistes grenoblois à tourner et prendre en compte cette activité, c’est s’assurer de s’enrichir culturellement en retour.

Quand vous parlez d’une coupe de 600.000 euros nous entendons un chiffre rond, avec tellement de zéro que nous n’entendons que sa valeur comptable. Voici sa valeur sociale : 600.000 euros, c’est 20 salariés à plein temps du secteur culturel grenoblois. Vous justifiez vos coupes budgétaires par des arguments économiques. N’oubliez pas que toute coupe d’un budget public porte en elle un argument idéologique.

En 1848, Victor Hugo déclarait devant l’Assemblée Nationale lors du vote du budget : « Je dis que les réductions proposées sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts sont mauvaises doublement : elles sont insignifiantes au point de vue financier, et nuisibles à tous les autres points de vue. […] Ce système d’économie ébranle d’un seul coup tout net un ensemble d’institutions civilisatrices qui est, pour ainsi dire, la base du développement de la pensée française. Et quel moment choisit-on ? C’est ici, à mon sens, la faute politique grave que je vous signalais en commençant : quel moment choisit-on pour mettre en question toutes les institutions à la fois ? Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir. Eh ! Quel est, en effet, j’en appelle à vos consciences, j’en appelle à vos sentiments à tous, quel est le grand péril de la situation actuelle ?
L’ignorance. L’ignorance encore plus que la misère. L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes. Et c’est dans un pareil moment, devant un pareil danger, qu’on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l’ignorance.
On pourvoit à l’éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire dans le monde moral et qu’il faut allumer des flambeaux dans les esprits ? ».

Par cette lettre nous voulons vous alerter sur les effets de vos décisions, qui contrairement à la démarche humaniste qui inspire votre action, pourraient l’entacher d’une dérive populiste.

Nous souhaitons urgemment nous mettre avec vous autour de la table pour accompagner votre réflexion sur la place de l’art et la culture dans la cité. Sans la proposition imminente d’une politique culturelle, c’est l’histoire artistique récente de cette ville qui risque de se briser.

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