Les combats de Cécil Guitart : témoignage de Jean-Philippe Motte

Le 12 décembre 2010, nous apprenions avec stupéfaction la disparition de Cécil Guitart.
Au tant de la peine, a succédé celui d’un fort besoin de dire qui il était, ce qu’il a fait et quels furent ses apports. De nombreux témoignages ont ainsi afflué.
Rassemblés ci-après, ils disent combien cette vie fut riche, inventive, engagée et généreuse.

Le comité de rédaction

 


Pour un développement culturel solidaire

Les  combats de Cécil Guitart : témoignage de Jean-Philippe Motte
Cécil Guitart a été Adjoint au Maire de Grenoble, Michel Destot, de 2001 à 2008, dans une municipalité d’union de la gauche et des écologistes, dite encore dans le langage des années 2000 « gauche plurielle ». Il y a assumé une délégation dont il avait lui-même proposé le titre, celle du « développement culturel solidaire », à laquelle était expressément attachée celle de la culture scientifique, technique et industrielle. Pour lui cette responsabilité s’inscrivait complètement dans le champ de l’éducation populaire ; dans son esprit les deux énoncés, développement culturel solidaire et éducation populaire se recouvraient. Tout son parcours professionnel, militant, politique, au fil des décennies témoigne de sa conviction et de son engagement : c’est par l’accès à l’éducation et à la culture et avec une conception complète de ce que l’on entend par culture, que les personnes peuvent se construire, le peuple s’émanciper, et prendre ses affaires en main, aménager « une cité harmonieuse ».

Il endosse cette responsabilité au début des années 2000 après un long parcours de vie et de travail retracé par ailleurs dans cet ouvrage.

Dans ce trajet, l’étape grenobloise des années 70 peut être vue et lue comme une belle préparation à son travail d’élu. Il arrive dans notre ville à l’initiative de Bernard Gilman, adjoint à la culture d’une municipalité dirigée par Hubert Dubedout, où coexistent et coopèrent les différentes sensibilités de la gauche socialiste. Il est recruté pour prendre la direction des bibliothèques et de la lecture publique, animer et développer un vaste ensemble de personnes et d’équipements chargés de rendre les livres accessibles à tous et de favoriser ainsi l’accès au savoir et à la connaissance du monde et des autres.

Avec Bernard Gilman, ainsi qu’avec deux autres élus de la même équipe municipale, François Hollard et René Rizzardo, eux aussi nourris des valeurs et des pratiques de l’éducation populaire, eux aussi orientés par une visée politique qui cherche à mobiliser les citoyens dans des démarches autogestionnaires, il noue des complicités qui donnent à son implication professionnelle une ampleur et une force considérables. Les uns et les autres sont liés au mouvement « Peuple et Culture »lui-même issu de la Résistance et de l’Ecole d’Uriage, nés à quelques encablures de Grenoble.

Cécil Guitart rencontre alors aussi d’autres acteurs grenoblois qui marqueront son itinéraire politique ultérieur ; je pense à Jean Caune, alors engagé dans le champ culturel au sein de la Villeneuve naissante, dans une perspective de « démocratisation culturelle » et qu’il retrouvera au sein de l’université grenobloise, 20 ans plus tard, puis au sein de notre équipe de « Go citoyenneté ». Je pense à Pierre Gaudibert, conservateur du Musée de Grenoble avec lequel il partage une même inclinaison pour la gastronomie, qui lui fait découvrir ainsi qu’à Bernard Gilman, le continent africain et ses immenses expressions d’humanité, ses immenses ressources culturelles. Je pense enfin à Jean-Pierre Laurent qui, là encore, avec l’appui de Bernard Gilman et d’Hubert Dubedout, transforme dans ces années là le Musée Dauphinois, musée des arts et des traditions populaires, et en fait certes un lieu de présentation et d’exposition, mais aussi de confrontation et de réflexion, mobilisant différentes approches anthropologiques et différents supports de communication et d’échanges, pour ouvrir la société locale à son histoire, à sa population dans la diversité de ses composantes, et aux horizons du monde.

Il est hautement symbolique à mes yeux que Cécil Guitart soit mort au lendemain d’une visite pré-inaugurale au Musée Dauphinois, animée par Bernard Gilman, d’une exposition à laquelle il avait contribué avec ce dernier, intitulée « Ce que nous devons à l’Afrique ».


Prendre appui sur la Déclaration universelle sur la diversité culturelle

Dans son « métier d’élu » de 2001 à 2008 Cécil Guitart conjuguera ces différents fils noués dans cette délégation du « développement culturel solidaire ». Il cherchera à promouvoir une ville éducatrice qui intègre les dimensions artistiques et culturelles dans le parcours des enfants et des adolescents, à favoriser la multiplication et l’élargissement des pratiques, avec les approches scientifiques du Centre Culturel Scientifique et Technique (CCSTI) et de l’association « Les Petits Débrouillards », avec le sport dans ses différentes modalités individuelles et collectives (en liaison avec notre collègue Sadok Bouzaine) en tablant aussi sur le langage audiovisuel avec le Centre audiovisuel de la Villeneuve et le Méliès (cinéma d’Art et d’Essai porté par la Fédération des Œuvres laïques et la Ligue de l’Enseignement).
Il portera ce qu’il a appelé lui-même « l’espérance de la diversité culturelle » en faisant expressément référence à « la déclaration universelle sur la diversité culturelle » adoptée par l’Unesco en novembre 2001. Il y voyait un chemin pour dépasser les impasses des politiques de démocratie culturelle qu’il repérait, sans renier le fait qu’il en avait été un acteur. Il donnait en exemple des limites de celles-ci la Maison de la Culture MC2 dont il saluait la qualité de la programmation mais dont il relevait, chiffres à l’appui, que la fréquentation restait le fait d’une petite partie de la population.

L’espérance qu’il exprimait dans la suite de cette déclaration était celle d’une reconnaissance de la pluralité des identités des sociétés et des cultures et de la diversité des pratiques et des langages. Il notait l’irruption et l’extension très rapide des nouvelles technologies d’information et de communication, les nouvelles contractions du temps et de l’espace qu’elles entraînent. Dans le cadre de cette nouvelle démarche il voyait différents chantiers à travailler, sur les représentations de la culture, sur les enjeux de la création artistique, sur la place du marché dans les politiques culturelles, sur l’émancipation culturelle comme conquête personnelle de conquête de son autonomie, et enfin sur la promotion de la coopération – que lui-même mettait en œuvre tout particulièrement avec Ouagadoudou et le peuple burkinabé


Vaincre la doute, l’amertume et les pesanteurs

Auprès de nous ses collègues élus, comme auprès des milieux professionnels directement concernés par sa délégation, ceux de l’éducation populaire (Fédération des MJC et Francas pour les Maisons de l’Enfance, au premier chef, mais aussi de nombreuses autres associations) Cécil apportait une impulsion et un allant, une volonté de renouvellement des approches et des pratiques à partir d’un socle de valeurs communes à ce milieu, celles de la République si on leur donne tout leur poids de sens et de consistance. Ce faisant, avec la bienveillance, la générosité et l’enthousiasme qui le caractérisaient, il a pu entraîner et apaiser des professionnels souvent inquiets, parfois amers des regards qu’ils ressentaient de la part des responsables politiques quant au bien fondé de leur action ; et eux-mêmes s’interrogeaient sur leurs capacités à ouvrir les enfants et les adolescents sur d’autres dimensions que celles de l’individualisme consommateur diffusées par l’air du temps.

Mais il s’est aussi heurté aux lourdeurs de ce milieu, aux réactions de repli qui le paralysaient, aux difficultés d’avancer qui en résultaient. Deux exemples dont je peux témoigner directement : l’enlisement progressif au cours du mandat municipal d’un Conseil local de la Vie associative (liée à l’éducation populaire) que Cécil avait suscité comme lieu de rencontres, d’échanges et d’élaboration partagée des politiques et des actions à mener dans le cadre de sa délégation. Dans un autre registre, le dispositif d’animation Jouhaux-Teisseire, crée à son instigation en remplacement des deux MJC de ces deux quartiers, fermées faute de supports professionnels et associatifs suffisants à la fin du précédent mandat n’a pas pu trouver de régime de croisière durable. La base coopérative imaginée en réponse à la défaillance associative s’est avérée trop fragile pour résister aux vents contraires. Dans les deux cas, les questions de financement et de concurrence dans l’appel aux ressources publiques exerçaient des influences parasites que l’engagement politique, l’ouverture d’esprit, la disponibilité et la souplesse de l’élu n’ont pu surmonter.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’action de Cécil Guitart comme élu municipal : ses bagarres au sein de notre majorité pour préserver des budgets conséquents ( en se prenant parfois les pieds dans le tapis des chiffres !) ; son combat pour garder dans le giron de la ville la propriété de Massacan au bord de la Méditerranée, pour le plus grand bonheur des enfants et des familles grenobloises ; ses prises de paroles au nom de notre groupe dont il fut le président au sein du Conseil municipal dans une langue toujours travaillée, vive, souple, affûtée ; sa promptitude à réagir aux faits d’injustice ou de mépris dont il était témoin, etc…
J’insisterai sur un point que je n’ai pas évoqué jusqu’à présent : sa relation avec l’association Déclic 38 sur des questions d’éducation, de l’école au collège et au lycée, et à propos de la tentative de lancer à Grenoble un collège innovant au regard de la promotion collective de ses élèves. Cécil y retrouvait notamment des anciens enseignants de la Villeneuve, Rolande et Raymond Millot, André Beranger qu’il avait connus dans son premier séjour à Grenoble, au sujet des communautés éducatives. Cette relation n’a pu aboutir à des réalisations nouvelles, mais elle a cependant imprégné nos comportements d’élus dans nos délégations respectives jusqu’à aujourd’hui.


A GO Citoyenneté

Je ne peux terminer cette brève et bien partielle restitution du trajet de l’élu politique local que fut Cécil Guitart sans évoquer en quelques mots son lien avec le mouvement Go Citoyenneté dont il a fait partie tout au long de son mandat et qu’il a quitté à la fin de celui-ci par suite d’un désaccord de fond. Il avait rejoint Go à l’approche des municipales de 2001 sur la base des orientations du mouvement, celles d’une volonté de transformation sociale misant sur la capacité des personnes à construire une société juste, laïque, culturellement diverse,une communauté de citoyens ouverte à la solidarité internationale. Il y trouvait une résonance avec ses propres convictions et avec son héritage de fils de réfugié politique espagnol, imprégné d’esprit internationaliste et libertaire, allergique à toute forme de cléricalisme. Il y était en terrain connu, par la présence de personnes qu’il estimait et l’écho qu’il y trouvait des groupes d’actions municipales (GAM) des années 70 .Tout au long du mandat 2001 –2008 il fut présent et actif au sein du mouvement et de notre groupe d’élus dont il fut un temps président.

Des lézardes se firent jour parmi nous à propos des municipales de 2008, non pas tant sur des éléments de programmes et de projets, mais plutôt de positions dans le champ politique local, de rapport à la majorité sortante et au Maire, sur les détails desquels il n’est pas possible d’être précis sans être long. Mais ce qui fit la bascule entre nous, au sein de notre groupe et du Mouvement fut le choix par une majorité d’entre nous d’aller à une alliance de deuxième tour avec la majorité telle que constituée par le Maire : non seulement avec des forces de gauche, mais aussi avec les centristes du Modem et plusieurs personnes issues de la droite et jusqu’alors dans l’opposition municipale ; et d’accepter d’aller dans cette majorité nouvelle sans y avoir tout à fait le nombre d’élus que les votes du premier tour auraient justifié.
Cécil n’accepta pas, comme d’autres membres de Go – et non des moindres – ce qu’il estimait être une compromission, source de confusions et lourde de dérives dans l’orientation et la conduite de la politique municipale. N’ayant pas fait le même choix, je comprends le sien comme l’affirmation d’une conception claire, la volonté d’un certain tranchant contre les risques encourus d’affadissement, voire de dévoiement, de la trajectoire d’engagement et d’action que nous avions partagée jusqu’alors. Je le regrette profondément, ayant vécu cette séparation avec tristesse. Sa mort soudaine est venue donner un caractère définitif au dialogue interrompu.

Témoignage de Jean-Philippe Motte

http://issuu.com/museedauphinois/docs/cecil_guitart